Quand elles investissent le terrain agri Quand elles investissent le terrain agricole
Les environnementalistes s'intéressent de près à de nombreux sujets agricoles, sur lesquels ils tentent d'imposer leurs vues de diverses manières.
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Selon l'expression d'un responsable professionnel, l'agriculture est « le terrain de jeu préféré des environnementalistes ». Normal : « L'agriculture gère à peu près la moitié du territoire », justifie Jean-Claude Bévillard, vice-président de France nature environnement (FNE), en charge des questions agricoles depuis une dizaine d'années. Au WWF France et à la fondation Nicolas Hulot, le référent « agriculture » de FNE n'a pas été parachuté là par hasard mais en raison de son bagage agricole. Tous les environnementalistes rencontrés « aiment les agriculteurs ». C'est toujours ça.
Tantôt alliées, souvent rivales, les organisations traitent à leur manière les questions agricoles. Avec peut-être la tentation, parfois, d'en faire trop pour se démarquer. Tour d'horizon non exhaustif.
Sur le terrain. L'ambiance n'est pas forcément mauvaise entre agriculteurs et écologistes. Une coopération concrète peut même exister : la Ligue de protection des oiseaux a la plus longue tradition dans ce domaine. Son maillage local dense permet des « actions très concrètes, sur la préservation des nids, la gestion des haies et des bords de champs », illustre Christiane Lambert, vice-présidente de la FNSEA, qui constate que « quand les gens travaillent ensemble sur le terrain, il est plus facile de s'entendre que lors de débats aériens à Paris ».
Même Greenpeace sort parfois de son rôle contestataire pour travailler sur le terrain avec des agriculteurs, par exemple sur les bandes enherbées, nous a expliqué Marco Contiero, de Greenpeace Europe. Mais apparemment pas en France.
Auprès du grand public. Chacune Les environnementalistes s'intéressent de près à de nombreux sujets agricoles, sur lesquels ils tentent d'imposer leurs vues de diverses manières. à sa manière tente de sensibiliser le public. Pédagogique et éducative, à la Nicolas Hulot, dont la fondation gère une « école » et propose un « coach carbone » et un « coach courses » (en concurrence avec celui du WWF). Incisive comme les Amis de la terre, qui publient des rapports plus ou moins relayés par les médias, récemment sur le gaz de schiste et l'accaparement des terres. Anxiogène, sur les produits chimiques avec Générations futures ou sur les biotechnologies avec Inf'OGM (site web d'information « indépendant » mais dont le conseil d'administration compte un responsable de Greenpeace et des Amis de la terre). Insistante avec les militants de Greenpeace qui investissent les marchés et chaque salon de l'agriculture ou de l'automobile.
La sensibilisation du public a son pendant politique avec le lobbying auprès des institutions nationales et européennes, aboutissement d'un travail souterrain pour étudier, analyser et proposer des solutions « clé en main » aux politiques. Un travail parfois collectif, comme au sein du groupe Pac 2013 ou du Collectif pour l'agroécologie qui mêlent organisations environnementales et paysannes. Les rencontres bilatérales jouent aussi leur rôle. Les ministres de l'Ecologie ne brillent pas par leur longévité. L'actuelle, en tout cas, a la confiance des ONG. Un dirigeant nous a confié s'entendre « très bien avec Ségolène », qu'il rencontre en dehors des rendez-vous officiels inscrits à l'agenda de la ministre.
Dans les instances de débat. Devenir l'interlocuteur incontournable des pouvoirs publics : c'était l'ambition de FNE. Gagné. Quand elle ne va pas aux ministres, ceux-ci viennent à ses assemblées générales. Lorsqu'en septembre dernier, elle a claqué la porte des Etats généraux de modernisation du droit de l'environnement pour protester contre le régime d'enregistrement pour les porcs, le ministre de l'époque, Philippe Martin, l'a « invitée » à revenir. Les Etats généraux n'ont d'ailleurs pas survécu et FNE est plus que jamais présente dans les débats.
A l'inverse, « Green peace n'est pas tentée par le dialogue », observe le député Bertrand Pancher. « Elle est rentrée dans la démarche Grenelle, en est sortie et a refusé de participer au suivi. » Hormis son siège au comité économique, éthique et social du Haut conseil des biotechnologies, l'organisation est peu présente dans les instances de débat. Sans doute parce que « c'est un travail qui mobilise énormément de temps et d'énergie mais qui reste invisible », souligne Jean-Pierre Raffin. L'ancien président de FNE, dont « chaque association membre siège dans une quinzaine de commissions locales », explique la difficulté à mener des campagnes avec Greenpeace « parce que son mode de fonctionnement est plutôt axé sur le 20 heures de TF1 que sur le travail au jour le jour »...
FNE en tout cas n'est pas prête de lâcher ses sièges et en réclame davantage, notamment dans les commissions départementales de consommation des espaces agricoles. La loi d'avenir agricole devrait la satisfaire. En attendant, dans les instances où les environnementalistes côtoient la profession, le dialogue a lieu tant bien que mal. « Il y a des points de désaccord : par exemple les débats sur les objectifs de réduction de phytos ou les surfaces d'intérêt écologique. Cependant, nous restons très attachés au dialogue », affirme Amandine Lebreton, chargée de l'agriculture à la fondation Nicolas Hulot, qui « a été à l'origine du Grenelle », rappelle-t-elle. Le dialogue est aussi le credo d'Humanité et biodiversité, qui travaille avec la FNSEA et l'APCA sur la trame verte et bleue « afin de ne pas en faire un outil de discorde », explique son directeur, Christophe Aubel. Il avoue être « déçu par la frilosité des syndicats agricoles », alors qu'il est « prêt à travailler avec eux pour chercher les meilleures solutions ».
Il note en même temps que « de plus en plus d'agriculteurs sur le terrain bougent pour construire un modèle différent. » Ce modèle, les Amis de la terre disent y travailler avec les organisations paysannes. « En revanche, au sein des instances, on discute avec la FNSEA mais on n'avance pas », lâche le président, Florent Compain. Même ressenti au WWF, qui juge les grandes organisations agricoles « réactionnaires ». Un exemple ? Le paiement des services environnementaux. Le WWF France y voit « un vrai sujet » (dans d'autres pays, le WWF a travaillé à en mettre en place). Aujourd'hui, la FNSEA s'y intéresse. « Mais chaque fois qu'on a abordé le sujet au niveau européen, on s'est heurté au blocage de la profession campée sur le dogme des deux piliers », soutient Arnaud Gauffier, chargé de l'agriculture. « La porte n'est pas fermée », tempère le directeur, Philippe Germa, tout en reconnaissant que le WWF, adepte des partenariats avec le secteur privé, a « plus de facilité et de légitimité à travailler avec le président de Sofiproteol que celui de la FNSEA, même si c'est la même personne ! »
Avec des partenaires privés. « Pour changer les choses, les entreprises ont un rôle au moins aussi important que les gouvernements et sont beaucoup plus durables qu'eux ! », commente Philippe Germa. Le WWF est pragmatique. Par exemple, là où les radicaux voudraient que l'élevage se passe de soja brésilien, il propose de rendre le soja « responsable ». Le cahier des charges, élaboré en concertation avec les industriels, ne semble pas drastique (zéro déforestation après 2006, bonnes pratiques phytos, respect du droit du travail, préservation des zones de haute valeur naturelle) mais doit générer une prise de conscience. La bureaucratie et les coûts induits par la certification semblent la réserver à l'agrobusiness plutôt qu'à l'agriculture familiale. Une des raisons pour lesquelles le WWF, qui a aussi travaillé sur l'huile de palme, est parfois accusé de cautionner la déforestation et les cultures industrielles. « Ce n'est pas demain qu'on se passera de soja brésilien », balaie Philippe Germa. « En revanche, on peut améliorer son impact. » Cela n'empêche pas le WWF de travailler sur les alternatives locales au soja avec le monde agricole (FNCivam).
Autre adepte des partenariats privés, la fondation Nicolas Hulot travaille avec des entreprises et interprofessions agricoles sur la restauration collective à base de produits de qualité, de proximité et de saison.
Parfois, la dénonciation est moins médiatique mais plus pérenne. Dernière trouvaille : Le Guetteur, un guide disponible sur papier, internet et mobile, qui classe les marques en fonction de leur politique vis-à-vis des OGM et des phytos. Il est basé sur les réponses des entreprises à un questionnaire envoyé par Greenpeace. Gare à ceux qui ne jouent pas le jeu, comme Lu et Charal qui ont été piégés par une interview en caméra cachée au salon de l'agriculture.
Toutes les autres organisations jouent aussi sur ce créneau. A la façon douce du WWF, qui ne se sent « pas obligé d'houspiller les entreprises en public » mais leur « met la pression » si elles ne font aucun effort. A la manière forte de FNE en 2011, avec sa campagne d'affichage avant le salon de l'agriculture. « Il y avait eu de nombreuses tentatives de dialogue avant », assume la fédération.
Devant la justice. « On n'aime pas les contentieux, que ce soit clair : on a d'autres chats à fouetter ! », soutient Florence Denier-Pasquier, viceprésidente de FNE. Et son boulot de juriste « n'est pas de faire des contentieux mais de la formation ». Même si elle ne nie pas que les associations communiquent beaucoup sur les litiges, qui leur donnent de la visibilité.
Si FNE ne tire que 2 % de ses ressources des actions en justice, d'autres semblent en vivre : l'ASPAS (Association pour la protection des animaux sauvages) a engagé plus de 2 000 procédures devant les tribunaux en trente ans, contre des tirs de loup ou des classements d'espèces nuisibles. Eaux et rivières de Bretagne indiquait avoir 24 actions en cours en 2013 et 21 décisions de justice ont été rendues cette même année, dont deux tiers en sa faveur. Elles concernent des utilisations non conformes de pesticides, le non-respect de règles d'épandage de lisier, l'absence de déclaration de travaux dans un cours d'eau...
D'autres en font un usage plus ciblé. Le WWF a quand même gagné 53 000 € dans le procès contre la société de chasse jugée responsable de la mort de l'ourse Cannelle en 2004. Cet argent sera employé à introduire un nouvel ours dans les Pyrénées, prévoit son directeur. Le genre d'évènement qui risque de ne pas arranger l'ambiance sur le terrain...
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